vendredi 10 janvier 2014

De l'oisiveté en voyage

La vie est composée d’une succession de choix, petits et grands, certes, mais choix quand même. Alors que je mettais un quart d’heure à choisir si oui ou non, j’allais prendre une assiette de crêpes au Nutella pour le dessert (l’avais-je mérité ? cela rentrait-il dans le budget ? en avais-je vraiment envie ?...), m’est alors apparue la trivialité des choix que nous devons faire une fois en voyage.
Le quotidien est devenu tellement simplifié ; l’abondance d’objets, d’éléments de consommation et de diversité d’action a fondu jusqu’au minimum, et il semble que nous en soyons réduits à quelques besoins primaires : manger, dormir, surfer. D’où finalement l’importance de la qualité des repas, et l’inquiétude face à la possibilité de voir son sommeil troublé par des backpackers en furie jouant au ping-pong au milieu de la nuit.
Face à cette vacuité évidente, je ne peux m’empêcher de me demander s’il est légitime de passer tant de temps à voyager, soit ne rien faire de constructif plutôt que de prendre part à un projet stimulant ou développer une carrière professionnelle.

La notion de temps et d’action est très paradoxale ici, car d’un côté il semble que nous ne faisons rien, que le temps est élastique et que l’oisiveté nous empâte, tant la vie est simple et facile ; même pour découvrir une région, il suffit de se laisser porter (par un bus, par un bateau, par nos tongs…). Mais d’un autre côté, ce pseudo-vide semble aussi activer une fonction cognitive qui elle ne cesse de réfléchir, observer, questionner, emmagasiner et finalement permet d’évoluer au sortir de tout ça. Et malgré le vide, le temps passe à une vitesse folle, et cette inaction apparente nous confine un profond sentiment d’humanité.

Certains disent que ces voyages ou séjours au soleil ne sont qu’une fuite. Après une douzaine d’année à alterner vie civilisée et de errance, je n’en sais toujours rien.
Le réflexe est de se défendre en disant que non ; voyager est constructif, que nous ne fuyons pas la vie mais allons à son encontre, que nous apprenons plein de choses, que nous rencontrons des gens et découvrons des cultures différentes, que nous nous ouvrons au monde… ce qui en soi n’est pas faux.
Mais n’est-il pas plus enrichissant et stimulant, en vue d’un bonheur durable et intrinsèque, de participer à un projet porteur et faire partie d’un noyau social stable, d’éprouver ce sentiment d’appartenance et d’utilité qui donne un sens à la vie ?

Ici nous avons tellement de temps libre, nous sommes tellement déconnectés, la vie est si simple et dénuée de pollution telle que la surabondance d’informations déprimantes et toxiques, de débats stériles, de téléphone, de mail, de bruit, de problèmes professionnels, de voisinage, de collègues, de soucis quotidiens qui en fait n’en sont pas… Toutes ces choses qui remplissent notre vie normale ont disparu, laissant la place au vide et le temps suffisant pour s’interroger sur le sens de la vie, celui qu’on lui donne ou qu’on souhaite lui donner.
Le fait d’avoir cette distance, cette longue parenthèse hors société, est bénéfique mais se révèle être aussi une source d’angoisse et amène son lot de questions existentielles : ai-je le droit de ne penser qu’à mon bonheur quotidien et égoïste durant plusieurs mois et d’être complètement inutile à la société et au monde ? Cela me rend-il véritablement plus heureux ou est-ce un leurre, un « quick fix » contre la peur de s’engager et de s’accomplir, comme me l’affirme depuis longtemps un ami qui voit dans ces voyages une échappatoire à la vie réelle ?

Ou bien le fait de vivre au quotidien en parfaite harmonie avec la nature, s’endormir et se lever en rythme avec le soleil, prendre le temps d’observer les vagues et les pélicans qui, majestueux, les survolent, savourer et valoriser son sommeil et l’abondance de fruits frais, apprécier le fait d’avoir de l’eau courante et de l’électricité car on ne peut jamais ici la prendre pour acquise, s’accorder du temps pour lire, réfléchir, et bavarder avec des inconnus, marcher pieds nus et sentir le contact du sable ou de la terre, tout comme la caresse du soleil sur sa peau, admirer le spectacle du ciel et de l’océan toujours en mouvement, surfer sans aucune autre raison ou but que l’action en soi, tel un musicien qui jouerait et rejouerait un morceau à l’infini, pour le seul plaisir de la musique et la beauté qui en émane.  Enfin revenir à des valeurs simples et se concentrer sur l’essentiel : la Beauté et l’Essence de la vie.

N’est-ce pas là aussi une réponse au vide existentiel qui soit aussi noble et valable que le fait de s’affairer dans l’action et réaliser mille et une choses qui ne sont finalement peut-être elles aussi qu’un leurre face au manque de sens de cette même vie ?
C’est toujours en voyage, durant ces heures de bonheur paisible, que je me dis que je devrais avoir un « vrai » travail, utile et constructif ; mais une fois derrière un bureau à passer des accords commerciaux et stresser pour des futilités, à se donner un vague sentiment d’importance et à laisser parler l’égo, il semble que la liberté d’errer sur le sable et passer ses journées dans l’eau donne bien plus de sens à la vie. Bon, si on ne surfait pas, les choses seraient certainement différentes et l’ennui véritable, mais avec cette quête de vagues et ce but infiniment renouvelable, même s’il n’a aucune utilité en soi, on trouve cependant l’équilibre idéal.

Peut-être que le sens de la vie n’a finalement d’importance que celle qu’on lui donne, et ni l’action ni la contemplation n’ont de supériorité l’une sur l’autre. Chacun remplit le vide comme il l’entend, et les projets constructifs viendront en temps voulu.
Vivre c’est être, et la simple contemplation de la beauté au quotidien, se fondre dans cette nature parfaite en surfant entre les vagues et le vent, profiter au maximum de l’instant présent, donnent finalement un sens au vide, et font de cette possible échappatoire une vraie raison de vivre.
Du moins pour l’instant.



1 commentaire: