samedi 18 janvier 2014

Braquage à la Nica

     L’horoscope de cette semaine était formel : « Lions, faites attention à vos affaires, risque de vol ».
Une des américaines du dortoir d’en face s’étant fait braquer en pleine nuit durant son sommeil par un local (elle s’est réveillée nez à nez avec le type qui tenait son ipod à la main - choquée à vie, la pauvre), j’en conclus qu’elle était certainement Lion et que l’histoire était réglée…



     Ce matin promettait d’être une belle journée : hausse de la houle, grand soleil, et petite excursion organisée sur un spot voisin plus au Nord avec d’autres amis francophones, bref de bonnes vagues et beaucoup de fun en perspective. On nous avait prévenu qu’il ne fallait rien laisser sur la plage car de nombreux vols avaient eu lieu, la fois d’avant on avait d’ailleurs emmené uniquement le minimum –serviette, eau, gâteaux- et caché le tout sous des rochers, et ça s’était très bien passé.

                                     

     Le spot en question est accessible en marchant une vingtaine de minutes le long d’une plage (excellent beachbreak d’ailleurs !) située à l’extrémité d’un petit village de pêcheurs, où vraiment, il n’y a rien. Ensuite il faut contourner les rochers, et les vagues cassent à l’intérieur d’une baie déserte et rocailleuse, bordée de falaises puis de forêt.
Effectivement, c’est très peu fréquenté, et mis à part quelques locaux qui la traversent de part en part, la plage est vierge. C’est d’ailleurs ce qui fait tout son charme, voire même l’unique intérêt de venir jusqu’ici : surfer une vague sans personne dans un coin tranquille et dépaysant, loin de la horde d’acharnés qui anime Popoyo en ce moment.



     C’est donc enthousiastes et pleins d’entrain que nous sommes arrivés sur le spot ce matin, sachant qu’Anabelle, s’étant fêlé une côte en surfant, allait pouvoir nous prendre en photo durant toute la session. Une motivation de plus et aussi l’occasion de pouvoir amener des affaires, et s’installer confortablement pour une bonne partie de la journée. Ca allait être si chouette ! (Rétrospectivement, je trouve notre naïveté tranquille presque touchante).
Enfin bref, comme je disais, que du bonheur.

                                     

     SAUF QUE, après avoir pris quelques bonnes vagues chacun et s’être réjouit d’être à l’origine d’une si bonne initiative (soit en ayant une pensée pleine de pitié pour tous ceux restés à Popoyo, qui devaient certainement être 30 à l’eau à l’heure qu’il était, ahah, les pauvres, les losers), nous voyons, depuis l’eau, un mec venir s’asseoir à côté d’Anabelle, restée en haut des rochers, à l’ombre de la falaise.
J’en parle avec les autres, mais ici rien de plus normal qu’un mec qui vient bavarder (tenter son coup) chaque fois qu’une fille est seule, donc à l’unanimité, pas d’inquiétude. On plaisante sur le fait qu’il lui demande de voir l’appareil photo de Mike (très beau et TRES CHER) et qu’il parte en courant avec, ahah, mais comme dit Stef « ça va, on n’est pas dans une banlieue au Brésil non plus ! ». C’est clair, ahah, il a raison.





     Bref on prend une vague, tranquille le chat, et là en levant la tête, on voit l’action en direct : le mec se lève et se barre en courant ! Pression !! Annabelle commence à lui courir après ; on se met à ramer comme des malades pour sortir de l’eau mais on est beaucoup trop loin, on hurle au bateau ancré à proximité de prendre le mec en photo, en vain (son objectif ne doit pas être aussi bien que celui de Mike, c’est clair, enfin passons), et après avoir parcouru la moitié de la plage, le mec disparait dans l’épais maquis qui recouvre la colline… on ne peut même pas distinguer le chemin.

     Fous de rage, chargés d’adrénaline et après avoir à peu près tous eu le même cheminement de pensée (putain l’appareil coûte une blinde, la lose !!! -variante de Mike « je vais le buteeeeeeeeer »- puis : Putaaaain, on avait plein de photos de surf dedans, scheisse !!! et enfin (sorry Anabelle !) : Ah mince, j’espère qu’Anabelle va bien ??!), on découvre que l’appareil et son méga objectif sont encore là (soulagement général), mais qu’il a pris nos sacs à dos, et donc toutes nos affaires, à savoir, lunettes de soleil (10 jours sans lunettes sous les tropiques, vraiment, c’est pas cool), appareil photo (le mien, dégoutée), crèmes, toute notre bouffe du jour, pas mal de cash, nos fringues et autres objets sentimentaux respectifs. Là on réalise qu’on vient de se faire dépouiller, qu’on est au milieu de nulle part, qu’Anabelle est en choc, et surtout que ça aurait pu être pire…
Mais nous sommes des être heureux et positifs, nous rebondissons ! Joie. Pat’ décide de rester avec Anabelle et nous encourage à retourner à l’eau pour « ne pas gâcher la journée et rester sur une note positive ». Les vagues sont, en plus, de mieux en mieux, les séries se succèdent sous nos yeux, bref, n’oublions pas pourquoi nous sommes venus, la perte n’est que matérielle après tout. Et surtout, surtout, on peut encore se prendre en photo ! Génial !

     SAUF QUE, alors que Stef et Laurence sont déjà à l’eau, et que Mike et moi sommes sur le point d’y entrer, nous apercevons, depuis le contre-bas des rochers deux nouveaux types qui marchent en direction de Pat’ et Ana, qui eux ne peuvent pas les voir, à cause de l’angle de la falaise. On se met à hurler, à courir, mais ils ne peuvent pas nous entendre à cause du vent. Ils finissent finalement par voir les mecs à temps, qui les dépassent et s’installent juste à côté, à 10m, l’air de rien. La baie fait bien 1km de long, et il n’y a, vraiment, absolument rien, mais ils s’installent quand même, genre, non non, on passait par là, on aime bien ici, faites pas attention à nous.
N’empêchent qu’ils relookent méchamment le peu d’affaire qu’il nous reste. Là on commence à sentir l’embrouille, et notre intuition nous encourage à ne pas retourner surfer, et à rester ici attendre les autres ensemble, à quatre. C’est cool quatre, on s’amuse bien, on est foufous.



     Il ne se passe rien, on n’échange pas un mot, mais l’ambiance commence à être lourde, très lourde, genre super tendue, comme le fil entre l’homme et le marlin, sauf que là le marlin c’est nous, et qu’on n’est plus trop sûr de qui gagne à la fin (pourtant j’aime bien Hemingway, mais pareil, c’était pas un grand optimiste).
Enfin bref, gros silence bien pesant où chacun, en monologue intérieur se demande ce que recommanderait le Lonely Planet dans cette situation, quand soudain, on voit quatre autres mecs qui arrivent, dont deux ont à la main une machette. UNE MACHETTE, si señor.
Alors en Amérique Centrale, rien de plus normal rétorquerez-vous (avec raison), mais quand l’une des machettes est brandie d’un air menaçant en votre direction, genre, ON ARRIVE, là, franchement, on peut commencer à s’inquiéter. Surtout si on imagine que le premier a prévenu les autres pour venir chercher le reste du butin, ce dont ça avait tout l’air.

     Mickael, d’un geste, planque l’appareil en contrebas sous les rochers, j’ai le cœur qui vrille, gros coup de pression, récite en silence un Notre Père et deux Ave Maria (ou un mixe approximatif), je lève la tête, les mecs sont là. Ce sont des jeunes, 18 ans max. Ils se croient très forts. Ils nous regardent d’un air menaçant, en faisant les coqs, font un rapide inventaire de nos biens (3 planches de surf, 2 bouteilles d’eau), et là nous demandent… de l’eau ! Silence et consternation, bref rapide coup d’œil entre nous (de l’eau ?? – en même temps, des planches, c’est plus compliqué à cacher). On lui donne une bouteille, un peu anxieux quand même à propos de la suite. Il ricane, l’embarque, et rejoint les deux premiers, trop fier de lui. Les autres suivent. OUF. Des merdeux quoi. Avec des machettes. Normal.
Là on hallucine un peu, puis on reprend enfin nos esprits et part de là, à toute vitesse, jusqu’à retrouver la civilisation. Plus de peur que de mal.

     Alors bien sûr, au final, se faire braquer pour de l’eau, c’est risible. Mais jamais avant je n’avais ressenti ce sentiment d’impuissance et de vulnérabilité qu’on éprouve face à quelqu’un avec une arme. Là, au milieu de nulle part, sans aucun témoin, tout pouvait arriver. Heureusement que Mike avait pu cacher l’appareil, car il n’aurait pas lâché facilement et ça aurait mal tourné.
Je suis encore choquée de cette triple rencontre (le reste du groupe risque de passer aussi une nuit difficile). Et en colère de savoir que des mecs se permettent de s’approprier tes affaires, juste parce que. Ca fait sûrement petite bourge qui n’a jamais connu l’insécurité, mais j’avais cette pensée un peu naïve que si tu restes confiant et que tu ne penses pas aux éventuels risques ou agressions, effectivement il ne se passe rien, dans la limite du raisonnable bien sûr (technique jusque là efficace d'ailleurs). Mais se faire braquer, en face à face, à la plage, en plein jour, à deux pas d'un village, sérieux, j’aurais jamais cru.
Je suis dégoutée d’avoir perdu mes affaires, de plus avoir de lunettes de soleil ni de crème solaire, qu’un connard malhonnête puisse voir mes photos préférées et même les plus intimes d’entre elles tout en bâfrant nos Oreos, mais ce qui me dégoûte encore plus, c’est d’avoir perdu (du moins pour l’instant, j’espère) cette envie d’être gentille et ouverte avec les locaux que je vois. Aujourd’hui, une fois au village, tout le monde était suspect, je haïssais de tout mon cœur tous les jeunes que j’ai croisés, j’ai suspecté la femme du resto de savoir de qui il s’agissait face à son indifférence (qui sait, peut-être avait-elle même déjà récupéré mon bikini ??). Et ça c’est détestable, être parano, sentir son cœur se fermer et ne plus avoir cette confiance spontanée envers ceux qui nous accueillent et l’ouverture qui donne tout son sens au voyage.

     Ironie du sort, une fois rentrés à l’hôtel, au moment de cuisiner, on a découvert qu'on nous avait volé notre beurre et du fromage dans le frigo, à l’intérieur d’un sac fermé. Bizarrement, c’est ça qui m’a fait disjoncter. Savoir que quelqu’un de la maison, qu’on connait, un de ces backpackers qui sont joyeusement en train de diner à côté de nous, EST le coupable, c’est vraiment pénible.

     Enfin, il faut bien quelques galères en voyage, et puis ça n'est que matériel au final, rien de grave!


Ps. Moralité, il faut toujours écouter son horoscope.

Pps. Et ça va, demain on va surfer en bateau. :-)








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