lundi 3 mars 2014

Il était une fois un village

     Il était une fois un village au fin fond du Panama, habité par une centaine de personnes – deux familles en fait, les Alfonso et les Camarena – et abritant l’une des plus longues vagues d’Amérique Centrale. Y accéder demandait alors des heures de route sinueuse et caillouteuse, et l’on savait qu’on était arrivé quand, après avoir passé quelques maisons en bois, un minuscule magasin et une cantine à bière, la route laissait enfin place à la mer. On avait alors l’impression d’arriver au bout du monde.

Santa Catalina, 2002

     Des gamins à moitié nus se baladaient, les habitants saluaient spontanément les quelques voyageurs et nouveaux arrivants, la nature était sauvage, les vaches erraient dans les grands prés bordant le chemin vers l’autre plage, celle de l’Estuaire. Le long de ce chemin, sous un soleil de plomb et sans un brin d’ombre, on entendait le silence surtout, et un peu le rutilement des vagues, au loin.


     Sous un ciel immense empli d’étoiles, la nuit laissait résonner le chant de mille grillons. Pas une voiture, pas un humain, juste une torpeur légèrement angoissante ; l’hégémonie de la nature prenait tout son sens. C’était la campagne.
     Un petit village de campagne avec toute l’humanité – et l’inhumanité!, que cela induit ; un peu de consanguinité, des histoires tordues, des règlements de comptes… mais aussi de l’entraide, de la joie, de nombreuses fêtes! L’alcool n’aidant d’ailleurs pas toujours et causant régulièrement des drames. Comme la fois où la femme de Pedro, folle de rage pour une raison qu’on ignore, débarqua à la cantina en plein jour, une machette à la main, et en asséna deux grands coups sur la tête de son mari. Le pauvre s’écroula aussitôt, et bien qu’il survécu, ce ne fut pas beau à voir…  Les premiers secours qu’on lui a prodigués lui ont certainement sauvé la vie. Du haut de mes 18 ans, j’étais complètement choquée.

La cantina

     Je me souviens d’un autre jour, où ce même Pedro (disons qu’il n’a pas de chance… ou mettons cela sur le compte de l’alcool), ivre mort mais plein d’entrain, eu l’idée magique de monter au volant du 4x4 de Juan, resté allumé au bord de la route faisant face à la mer. En quelques secondes il réussit à grimper à bord et à appuyer à fond sur l’accélérateur sans que personne ne puisse rien faire. Il perdit immédiatement le contrôle du véhicule qui fonça droit sur la plage, en plein vers un groupe d’enfants en train de jouer. Quel cauchemar! Nos hurlements les firent heureusement réagir et par un véritable miracle il passa juste à côté d’eux pour finir planté dans l’eau, mais je n’ai jamais eu aussi peur de ma vie. C’est fou ce que l’esprit peut imaginer de pire en un instant à peine.

     Mis à part ce type d’épisodes relativement récurrents, notamment lors des fêtes, la vie était simple ; aussi douce que le léger offshore qui soufflait l’été durant et rendait les vagues encore plus parfaites. Parfois, il y avait du monde à l’eau : les jours fériés, les longs weekends, pour Carnaval… mais la plupart du temps, les sessions étaient partagées par une poignée de surfeurs seulement, locaux pour la plupart, quelques gringos, quelques français...
     C’est là que j’ai appris à surfer, qu’on m’a conseillée et encouragée, que j’ai dépassé mes limites, que j’ai aussi eu de nombreux points de suture. On m’appelait kamikaze ; je me suis bien calmée depuis!

Petit souvenir du reef


     C’est là que j’ai un jour envisagé de faire ma vie. J’y ai passé deux belles années. Ce village magique était unique, tant pour ses vagues, que pour son ambiance, sa folie, sa beauté et sa tranquillité… Mais ça, c’était avant.


Février 2014.

     Nous débarquons à Santa Catalina, Micka, Roman et moi. Ils sont excités de découvrir un nouvel endroit, je suis anxieuse de savoir ce que le village est devenu, douze ans plus tard.
Nous sommes à peine arrivés que le ton est donné d’emblée : une route en béton a été construite, non seulement pour accéder depuis la capitale de la région jusqu’au village (ce qui a certes ses avantages) mais qui continue en plus jusqu’à la plage de l’Estero, défigurant ainsi de part en part le village, avec en sus de profondes rigoles de part et d’autre de la route. Pour l’esthétisme et l’utilité (il pleut trois mois par an), on repassera.

     Les prix ayant flambé ces dernières années, nous nous rendons compte que nous pouvons à peine nous loger! Les hôtels et surf camps autrefois accessibles sont devenus de (wannabe) luxueux resorts dont les prix oscillent de 35 à 200 US$! On hallucine. Mêmes les vieilles maisons abandonnées sont transformées et divisées en « matrimonial deluxe suites » et autres « family beach cottages ».
     De même pour les restaurants, le plat coûte en moyenne de 8 à 20$, pire qu’en Europe. Je veux dire, un hamburger ou du riz/poisson pour 10$, n’y a-t-il pas un souci quelque part ? Même une pizza à Biarritz est meilleur marché. Bref, soudain, nous nous sentons pauvres.
     Qu’à cela ne tienne, nous dénichons l’une des cabanas les moins chères (tenues par Sherlley, une panaméenne adorable), très propres et coquettes (c’est toujours bon à prendre, pas de puces de lit en perspective) et partageons une chambre à trois. Un couple + un pote = JOIE.  Mais enfin, pas le choix, pour 46 $ à trois, nous n’irons au moins pas dormir le ventre vide. Et puis honnêtement nous sommes bien installés, c’est presque un mini studio, avec coin cuisine et air conditionné. Il y a même un adorable chaton pour nous tenir compagnie… je suis aux anges!


     Nous prenons donc possession de notre nouveau toit, au bord de ladite route en béton, quand à force d’observer je prends la mesure du changement survenu : un peu partout des constructions et de nouvelles maisons,  et un bruyant va-et-vient de 4x4 roulant à toute vitesse ; une colonie d’Américains faisant leur jogging au coucher du soleil ; un blondinet de 10 ans – appelons-le Tobby- qui va gaiment sur son skate-board, pendant que Kelly et Brenda, hâlées et vêtues d’un paréo, reviennent d’un pas pressé de la plage. Stefan et Hilke, en tenue de randonnée, brûlés par le soleil mais visiblement heureux, marchent vaillamment en direction du centre tout en admirant les oiseaux ; la famille Dupont - papa et les deux fistons, rentrent de leur session de surf (merci le nouveau vol direct Paris – Panama City) ; Mrs and Mr Richardson, retraités anglais, venus se ressourcer dans l’air marin, projettent une expédition sur l’île de Coiba, parc national de renommée. Sans compter les immanquables backpackers tatoués et/ou dreadlockés venus visiter le coin car listé dans leur Lonely Planet. AU SECOURS !!!

     Je réalise ainsi que mon petit village d’antan est devenu l’antre du tourisme de masse au Panama. Et visiblement, ça n’est qu’un début. Autant à Bocas del Toro, on était au courant, autant là…
J’exagère un peu, car au fil des jours nous avons constaté que le flux touristique varie et qu’heureusement on trouve encore des moments de grand calme et des coins tranquilles.



     Il semble aussi que le boom ait bien profité aux locaux qui organisent d’onéreux tours sur les îles alentour, ont monté des restaurants, et ont ainsi amélioré leur niveau de vie. Mais le contraste avec les maisons d’avant (dans lesquelles vivent les malchanceux ne bénéficiant pas du tourisme) est d’autant plus saisissant. Les demeures flambant neuves d’américains et hôtels avec piscine côtoient sans vergogne des cabanes en bois entourées de crasse dignes des pays du tiers-monde les plus pauvres.

     Quant à l’ambiance à l’eau ? Si la vague est toujours aussi belle et déroule majestueusement sur 200m, en toute pérennité, elle est défigurée par une armée de surfeurs de toutes nationalités, se déchainant sans respect pour avoir la priorité. Certains jours, c’est un festival d’acharnés en surf, SUP, mini-malibus ornés de Go-pro et autres débutants auxquels nous assistons. Point de locaux en vue les premiers jours. Viendront ensuite quelques uns, mais si peu.
     Heureusement, une fois la rentrée des classes passée et quelques touristes partis, nous avons quand même bien profité de belles sessions, voire même de très belles sessions. La vague est ce qu’elle est, longue et parfaite. Mickaël s’est mis plusieurs tubes, et j’ai bien progressé en backside. Ne crachons pas dans le ceviche, le surf est bon, mais c’est parfois la jungle humaine.
Roman a quant à lui déclaré forfait et préféré surfer le beach-break d’à côté, puis partir sur une autre plage, loin, avant de rentrer en France.



     Nous avons aussi rencontrés lors de ces sessions des gens super sympas. C’est marrant d’ailleurs comme le surf rend schizophrène et certains sont socialement adorables mais deviennent l’ennemi à abattre une fois à l’eau, tant leur comportement est insupportable!

     La vraie bonne nouvelle et fierté de Mike c’est que Roman et lui ont, d’une certaine manière, découvert une vague. Je ne croyais pas cela possible. En fait, la vague était connue, il s’agit d’une droite rapide cassant sur des rochers acérés et irréguliers, la rendant quasi impraticable tant elle est dangereuse. Personne n’a donc jamais osé la surfer. Qu’à cela ne tienne, nos deux intrépides voulaient absolument la tenter. Et ils l’ont fait avec succès !
     De mémoire d’un des plus vieux surfeurs du coin, Ricardo (un espagnol arrivé là il y a plus de 30 ans quand la vague de La Punta fut découverte et témoin de l’exploit), c’est la première fois qu’il voit quelqu’un surfer cette vague! Il a pourtant accueilli Tom Curren, Tom Carrol, Herbie Fletcher et une ribambelle d’autres surfeurs pros, mais aucun, à sa connaissance, n’avait essayé de surfer ce reef à fleur d’eau. Mike est ainsi devenu son héros, Ricardo lui donnant directement le statut de légende et le traitant comme tel. Il voulait même nommer la vague Mike’s ! Ca n’a pas de prix.

Mike's right

     Ca fera un excellent souvenir d’ici, malgré le boom touristique et la foule à l’eau. J’ai également beaucoup de plaisir à revoir des personnes que j’aime beaucoup, de prendre des nouvelles des uns et des autres, de voir comme tous les enfants ont grandi (ça nous rajeunit pas tout ça!), de me remémorer de bons moments. Le village et ses alentours restent très jolis, le développement est harmonieux, on voit de belles fleurs, de la couleur, et heureusement encore beaucoup de nature. A propos, si certains cherchent un terrain abordable pour s’y installer, contactez-moi, j’ai un bon plan à proposer!




     Le bon côté du développement du littoral, c’est que nous allons maintenant pouvoir séjourner sur d’autres plages dans la région voisines, qui étaient jusque là inaccessibles en bus et où il n’y avait ni hôtel ni restaurant. Ces contrées demeurent encore relativement dépeuplées et nous comptons bien en profiter dans les semaines à venir. Même si on entend souvent toujours parler des mêmes lieux, une chose reste sûre : il y a encore de nombreux spots inexplorés et de vagues vierges qui déroulent au Panama.

Ci-dessous d'autres photos du village. Malgré nos critiques, on n’est loin d’être malheureux!











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