lundi 23 décembre 2013

En attendant Godot

     « La vie appartient à ceux qui se lèvent tôt ». Cela n’a jamais été si vrai pour nous qui, deux semaines après notre arrivée, nous réveillons encore à 5h du matin. Si cela a ses avantages à la plage, pour être le premier à l’eau au lever du jour, on en trouve soudain beaucoup moins une fois en ville, comme en ce moment. Malgré cela, et le fait de devoir regarder chaque film en trois fois, puisque l’on s’endort irrémédiablement, chaque soir,  à 21h, j’aime ces premières heures du jour (ou de non-jour) où tout est calme et le reste du monde dort.
     C’est comme faire partie d’un secret, le silence règne mais le chant des oiseaux est perceptible à qui tend l’oreille, tel un cadeau, et les premières lueurs mêlées au reste d’obscurité donnent cette part de magie qui transforme chaque action banale –déambuler en silence dans les allées de l’auberge, se faire un café, s’installer dans un coin et observer, écouter – en une potentielle bêtise ou en tout cas un interdit, notre présence étant légitime sans totalement l’être.

     Aussi, à cette heure de la nuit ou du jour, c’est selon, s’exerce la magie des possibles ; l’inspiration est la plus grande et mille projets et idées tourbillonnent dans ma tête… Elles s’évaporent aussi vite que j’ai bu mon café et que la lumière du jour s’intensifie, une heure plus tard, mais enfin, cette parenthèse les a presque rendues palpables.

     La notion de temps est très étrange quand on est en voyage, qui plus est en Amérique Latine.
Nous semblons osciller en permanence entre un total laisser-aller (rien de plus normal, jetons nos montres, nous sommes en vacances) et un besoin irrépressible de rythme, malgré tout. L’heure du petit-déjeuner, l’heure du premier bus, Ouh! Déjà  midi, l’heure de manger, encore ! Si une fois à la plage, c’est tout de même l’heure de la marée qui fait loi, ailleurs, ce sont bien les repas qui régulent notre journée. Mais la nonchalance latine l’emporte toujours, et arriver au restaurant à 19h tapante ne veut pas dire que nous mangerons dans l’heure qui suit. Il y a une logique que je ne comprends pas, et peut-être que c’est ceci qu’il faut finalement comprendre : que de logique il n’y en a juste pas.

     Comme ce jour où nous avons quitté Popoyo pour nous rendre à Granada, à théoriquement 3h de route,  où nous sommes en ce moment.
Juan, la soixantaine, la parole rare mais sage, est le chef de la maison et chauffeur de taxi à ses heures (lorsqu’il ne fait pas la sieste ou ne lit pas Cosmopolitan dans un hammac). Juan donc, nous dit gravement le matin de notre départ :
  « Vous allez à Granada, il vous faut prendre le bus pour Rivas de 8h30 à Salinas, il n’y en qu’un par jour. Jessica va vous y amener quand elle revient. »

     Rapide coup d’œil à notre montre, il est 7h30 et nous sommes loin d’être prêts ! Coup de pression, vite empaqueter, vite stocker, vite les pancakes, vite les dents, vite payer, ouf 8h, c’est bon, vamos ! Mais point de Jessica. On attend, en vain. A 8h15, on tente un timide « Où est Jessica ? » ; on nous répond d’un ferme « Ya viene. (Elle arrive). » Mmm ok. Mais c’est juste que ça va être l’heure, non ? Et le temps d’aller à Salinas, enfin je sais pas, je dis ça… « No se preocupen ». (Vous inquiétez pas). Ah.
A 8h30, Jessica n’est toujours pas là, et Juan nous informe qu’il va nous amener. (Mais c’est déjà l’heure du bus, non ? Bon, d’accord…). Puis Juan se lave les dents. Il bavarde à la cuisine. Vérifie des choses et d’autres. Quand il se dirige enfin vers son Hilux d’avant-guerre et tente (en vain) de le démarrer, il est 8h45 et nous sommes au bord de l’apoplexie. Ils nous prennent vraiment pour des jambons ou quoi ???!!!

     En bons petits français, nous piétinons, bouillant de l’intérieur et nous demandant quel est le point d’y aller encore si l’heure est dépassée et merde quoi l’heure c’est l’heure !!
8h50. Juan démarre : « Vamonos ! ». (???!!!) Nous montons, dépités et relativement dubitatifs.
Quinze minutes plus tard, il nous dépose gentiment au milieu de nulle part, dans la campagne, au croisement de deux petites routes et devant un petit arrêt de bus, vide bien entendu.
Heu… Juan t’es sûr ? Tu nous laisses là ? Un seul bus par jour ? « YA VIENE EL BUS » (le bus va venir), nous réaffirme-t-il, confiant. Nous lui faisons donc nos adieux après l’avoir remercié et souhaité de bonnes fêtes, tout en calculant mentalement combien de temps cela nous prendrait-il de revenir à pied, sous 30 degrés et le poids de nos sacs à dos. Peut-être en stop sinon? (A tout à l’heure Juan, donc.)
     Alors nous attendons. Il fait beau, les fleurs sont jolies. Nous voyons défiler tour à tour des poules, des cochons, des énormes mules, un surfeur, des paysans en vélo, un camion pourri… mais point de bus, ô désespoir.
     La situation est si absurde que nous cherchons en quoi notre logique a faillé au point de nous laisser docilement amener dans un trou si perdu, alors que l’unique bus du jour est passé depuis belle lurette ; c’est donc ça la magie du voyage ??! Ce fake, la belle arnaque.

     Lorsque soudain, miracle, nous entendons un vrombissement et apparait alors le museau jaune et bariolé du vieux schoolbus américain, d’où nous pouvons lire « Sonrie, Jesus te ama ! ».
     Il est 9h20.
     Normal.
     Au temps pour nous et notre notion du temps si conventionnellement pragmatique.
     Merci Jésus qui nous aime, et merci Juan pour cette leçon, il était temps qu’on s’adapte !




1 commentaire:

  1. c'est fantastique, l'écriture est aussi belle que les photos c'est un régal ..merci de nous faire partager
    joyeux noel à vous 2 de FRANCE LILLE
    cousine FRAMBOISE

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