« La vie appartient à ceux qui se lèvent tôt ». Cela n’a
jamais été si vrai pour nous qui, deux semaines après notre arrivée, nous
réveillons encore à 5h du matin. Si cela a ses avantages à la plage, pour être
le premier à l’eau au lever du jour, on en trouve soudain beaucoup moins une
fois en ville, comme en ce moment. Malgré cela, et le fait de devoir regarder
chaque film en trois fois, puisque l’on s’endort irrémédiablement, chaque
soir, à 21h, j’aime ces premières heures
du jour (ou de non-jour) où tout est calme et le reste du monde dort.
C’est comme faire partie d’un secret, le silence règne mais le chant
des oiseaux est perceptible à qui tend l’oreille, tel un cadeau, et les
premières lueurs mêlées au reste d’obscurité donnent cette part de magie qui
transforme chaque action banale –déambuler en silence dans les allées de l’auberge,
se faire un café, s’installer dans un coin et observer, écouter – en une
potentielle bêtise ou en tout cas un interdit, notre présence étant légitime
sans totalement l’être.
Aussi, à cette heure de la nuit ou du jour, c’est selon, s’exerce la
magie des possibles ; l’inspiration est la plus grande et mille projets et
idées tourbillonnent dans ma tête… Elles s’évaporent aussi vite que j’ai bu mon
café et que la lumière du jour s’intensifie, une heure plus tard, mais enfin,
cette parenthèse les a presque rendues palpables.
La notion de temps est très étrange quand on est en voyage, qui plus
est en Amérique Latine.
Nous semblons osciller en permanence entre un total laisser-aller (rien
de plus normal, jetons nos montres, nous sommes en vacances) et un besoin
irrépressible de rythme, malgré tout. L’heure du petit-déjeuner, l’heure du
premier bus, Ouh! Déjà midi, l’heure de
manger, encore ! Si une fois à la plage, c’est tout de même l’heure de la
marée qui fait loi, ailleurs, ce sont bien les repas qui régulent notre
journée. Mais la nonchalance latine l’emporte toujours, et arriver au
restaurant à 19h tapante ne veut pas dire que nous mangerons dans l’heure qui
suit. Il y a une logique que je ne comprends pas, et peut-être que c’est ceci
qu’il faut finalement comprendre : que de logique il n’y en a juste pas.
Comme ce jour où nous avons quitté Popoyo pour nous rendre à Granada, à
théoriquement 3h de route, où nous sommes en ce moment.
Juan, la soixantaine, la parole rare mais sage, est le chef de la
maison et chauffeur de taxi à ses heures (lorsqu’il ne fait pas la sieste ou ne
lit pas Cosmopolitan dans un hammac). Juan donc, nous dit gravement le matin de
notre départ :
« Vous allez à Granada, il vous faut prendre le bus pour Rivas de
8h30 à Salinas, il n’y en qu’un par jour. Jessica va vous y amener quand elle
revient. »
Rapide coup d’œil à notre montre, il est 7h30 et nous sommes loin
d’être prêts ! Coup de pression, vite empaqueter, vite stocker, vite les
pancakes, vite les dents, vite payer, ouf 8h, c’est bon, vamos ! Mais
point de Jessica. On attend, en vain. A 8h15, on tente un timide « Où est
Jessica ? » ; on nous répond d’un ferme « Ya viene. (Elle
arrive). » Mmm ok. Mais c’est juste que ça va être l’heure, non ? Et
le temps d’aller à Salinas, enfin je sais pas, je dis ça… « No se
preocupen ». (Vous inquiétez pas). Ah.
A 8h30, Jessica n’est toujours pas là, et Juan nous informe qu’il va
nous amener. (Mais c’est déjà l’heure du bus, non ? Bon, d’accord…). Puis
Juan se lave les dents. Il bavarde à la cuisine. Vérifie des choses et
d’autres. Quand il se dirige enfin vers son Hilux d’avant-guerre et tente (en
vain) de le démarrer, il est 8h45 et nous sommes au bord de l’apoplexie. Ils
nous prennent vraiment pour des jambons ou quoi ???!!!
En bons petits français, nous piétinons, bouillant de l’intérieur et
nous demandant quel est le point d’y aller encore si l’heure est dépassée et
merde quoi l’heure c’est l’heure !!
8h50. Juan démarre : « Vamonos ! ». (???!!!) Nous
montons, dépités et relativement dubitatifs.
Quinze minutes plus tard, il nous dépose gentiment au milieu de nulle
part, dans la campagne, au croisement de deux petites routes et devant un petit
arrêt de bus, vide bien entendu.
Heu… Juan t’es sûr ? Tu nous laisses là ? Un seul bus par
jour ? « YA VIENE EL BUS » (le bus va venir), nous
réaffirme-t-il, confiant. Nous lui faisons donc nos adieux après l’avoir
remercié et souhaité de bonnes fêtes, tout en calculant mentalement combien de
temps cela nous prendrait-il de revenir à pied, sous 30 degrés et le poids de nos
sacs à dos. Peut-être en stop sinon? (A tout à l’heure Juan, donc.)
Alors nous attendons. Il fait beau, les fleurs sont jolies. Nous voyons
défiler tour à tour des poules, des cochons, des énormes mules, un surfeur, des
paysans en vélo, un camion pourri… mais point de bus, ô désespoir.
Lorsque soudain, miracle, nous entendons un vrombissement et apparait
alors le museau jaune et bariolé du vieux schoolbus américain, d’où nous
pouvons lire « Sonrie, Jesus te ama ! ».
Il est 9h20.
Normal.
Au temps pour nous et notre notion du temps si conventionnellement pragmatique.
Merci Jésus qui nous aime, et merci Juan pour cette leçon, il était temps qu’on s’adapte !
c'est fantastique, l'écriture est aussi belle que les photos c'est un régal ..merci de nous faire partager
RépondreSupprimerjoyeux noel à vous 2 de FRANCE LILLE
cousine FRAMBOISE